Jean-Cedric Sow est un designer Congolo-Allemand, promoteur de la marque Alina Sow créée en 2016 et prix du jury à la compétition Internationale ESMOD Berlin en 2014. Après l’obtention du diplôme BA in Fashion Design en Allemagne, Il travaille chez Marina Hoermanseder à Berlin, chez Issey Miyake à Tokyo et chez Hippolyte Diayoka à Brazzaville afin de mieux comprendre les attentes vestimentaires des femmes et des hommes. Grâce à ces expériences très riches en culture, les créations de Jean – Cedric Sow sont une alliance parfaite d’un chic parisien maîtrisé, d’une originalité congolaise assumée et d’un avant-gardisme japonais subtil. L’audace est par ailleurs ce qui, pour lui, apporte de la subsistance à son travail, selon le créateur. En visite dans son atelier de Brazzaville, nous avons pu lui poser quelques questions.
INTERVIEW EXCLUSIVE
Parlez-nous de vos débuts dans la mode ?
J.C.S: Mon amour pour la mode est né pendant mon adolescence. J’ai toujours été un très grand fan des dessins animés et particulièrement des mangas. Et pendant cette période de ma vie, j’ai réalisé que les personnages de toutes ces séries étaient en symbiose parfaite avec leurs vêtements : ce qui se passait à l’intérieur se voyait à l’extérieur. J’ai appliqué tout ça dans mon propre style vestimentaire. Je voulais que les gens comprennent qui je suis même s’ils ne me parleront jamais. Et je pense que je l’ai fait correctement, parce que très peu de temps après, c’était une évidence pour tout le monde qu’un jour, je travaillerai dans la mode.
Vous avez travaillé et appris auprès des créateurs tels que Issey Miyake ou encore Hippolyte Diayoka, qu’est-ce que vous retenez de ces moments ?
J.C.S:De chez Issey Miyake, je retiens l’amour de la simplicité et le respect des détails. On sous-estime les vêtements minimalistes, mais ce sont en général les plus dures à accomplir. Grâce à cette formation, j’ai amélioré ma précision et les finitions et ce sont mes collègues du Japon qui m’ont poussé à créer ma propre marque. Chez Hippolyte, j’ai appris beaucoup sur la psychologie du Congolais et comment la faire jouer en sa faveur. Il m’a appris tout ce que je devais savoir pour survivre sur ce terrain qui n’est pas toujours facile quand on est aussi créatif que moi. Aujourd’hui, le Congo est absent sur le marché du vêtement, contrairement à d’autres pays du continent, les créations congolaises ont du mal à s’exporter.
Est-ce que c’est une question qui vous préoccupe ?
J.C.S:Je trouve extrêmement dommage que le pays n’ait pas encore réalisé que l’industrie de la mode et de la création est un point extrêmement important qui contribue à la prospérité des nations les plus riches du monde. Tous ces grands créateurs étrangers n’ont pas décidé d’eux même de s’exporter, ce sont des investisseurs qui ont vu du potentiel en eux et ont décidé de les aider à devenir beaucoup plus qu’ils ne le sont. Si les investisseurs congolais ou encore africains ne veulent pas investir dans leurs marques pour entrer en compétition avec celles d’Europe, des Etats-Unis ou encore de l’Asie, la création africaine ne se développera jamais. Hélas.
Les créations d’Alina Sow sont destinées pour quel type de profil ?
J.C.S:La Femme et l’homme alina sow savent qui ils sont. Ils ont leur propre style, ils savent s’assumer et se démarquer. Ils ont l’esprit ouvert au monde et sont très sophistiqués sans se prendre trop au sérieux. Ils jouent avec la mode avec une certaine sûreté, que les personnes autour d’eux n’ont pas. Ce sont eux qui créent les tendances, ils ne les suivent pas forcément.
Quelles sont les matières que vous utilisez généralement ?
J.C.S:Normalement, nous préférons utiliser le coton, la soie, le raphia de très hautes qualité, mais depuis que nous sommes entrés dans une phase de réinterprétation de nos propres codes, nous utilisons du plastique, du vinyle, de la toile et plein d’autres matières que nous transformons en quelque chose de nouveau.
Votre mère n’est autre que le professeur Francine Ntumi, une femme scientifique dont la carrière force l’admiration. Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’être influencé par sa carrière ?
J.C.S:Ma mère a naturellement une grande influence sur moi. Quand je vois ce qu’elle réussit à faire bouger, j’ai envie de faire de même et de révolutionner mon secteur au Congo. Cela me tient vraiment très à cœur. Ma mère et moi sommes des gens incroyablement différents, mais la passion est quelque chose qui nous rassemble. De plus, je suis la personne qui depuis la création d’Alina Sow, je l’habille et je suis très fier de réaliser quel impact mes tenues confectionnées pour elle a eu sur son image.
Est-ce que la science, c’est quelque chose qui vous parle ?
J.C.S:Il y a une chose que je remarque toujours et très souvent : je suis un artiste avec un cerveau scientifique. Je suis quelqu’un de très logique, de très rationnel. Je ne me laisse que très rarement guidé par mes émotions et de loin la science m’intéresse. Mais je ne sais pas si je suis fait pour ça. Vous dites que les dessins animés vous ont inspiré, racontez-nous … Comme je le disais, les dessins animés japonais et les jeux vidéo, bien évidemment, sont une source perpétuelle d’inspiration pour moi. Les dessins animés et les jeux vidéo me transportent et m’inspirent. Un bon style vestimentaire qui est authentique et qui définit qui tu es, et ne te déguise pas. Quand on ouvre l’œil, on remarque vite qui est « déguisé » et qui ne l’est pas. Les dessins animés qui m’ont beaucoup inspiré sont: Cutey Honey, sailor moon, Nana, black rock shooter, paprika, kara no kyoukai… Et j’en passe.
Vos créations sont parfois très provocantes et audacieuses. Vous n’avez pas peur de choquer ?
J.C.S:Je pense que le Congolais a besoin d’être choqué, ce qui précède le choc, c’est souvent la réflexion. Et les Congolais en ont besoin à mon avis. Nous devons nous remettre en question régulièrement, c’est une démarche qui fait évoluer tous les secteurs, et en particulier la mode. Une remise en question perpétuelle va aider à booster les choses. Parce qu’à mon avis, le style congolais n’évolue pas depuis longtemps.
Quelle est votre démarche pour promouvoir l’identité culturelle de votre pays à travers vos créations ?
J.C.S:Je suis à la recherche de ‘l’ADN’ africain dans la mode depuis ma première collection » immaculate protection » de 2014 qui était basée sur le symbolisme de la couleur blanche au Congo. Je ne suis pas un grand fan du pagne qui pour moi n’est pas réellement africain, donc j’essaye d’exprimer mon côté africain à travers d’autres matières. Comme par exemple par la réutilisation et le recyclage dans notre collection actuelle : » Plastic Manifesto » inspiré des sacs plastique qu’on appelle communément ici «nguiri » mais aussi des punks anglais des années 80.
À votre avis, qu’est ce qui manque dans l’univers de la mode et de la création au Congo ?
J.C.S:Ce qui manque pour moi, c’est la recherche et cette exigence au niveau non seulement de la couture, mais aussi au niveau des designs. Un designer ne fait pas seulement ce qu’il trouve lui-même jolie. Il doit proposer quelque chose. Une vision élaborée, des coupes intéressantes et faire passer des messages aussi des fois … Mais tout ça demande du courage. Et je trouve que les Congolais ont encore trop peur de faire quelque chose que leurs voisins vont peut-être critiquer. Nous pensons trop à ce que nos voisins peuvent penser de nous et cela nous empêche d’exploiter pleinement notre potentiel.
Votre Conclusion…
J.C.S: Être soi-même, c’est difficile. Au début, peut-être que les gens vont rire de vous, mais si vous imaginez que ces rires sont des applaudissements, un jour, ils le seront vraiment.



