
INTERVIEW EXCLUSIVE
QUI EST YESSEI ?
YESSEI : Yessei Ossebi Zoabi, née Ossebi Douniam, est une femme qui se présente avec élégance et assurance. Âgée de 36 ans, elle est non seulement une mère de deux enfants, mais aussi une architecte designer de renom. Son entreprise, le cabinet d’architecture, “YODAGROUP”, dont elle est l’entrepreneure et la Directrice Générale, opère depuis plus d’une décennie dans les domaines de l’architecture, de la construction et du design d’intérieur. Notre cabinet compte à ce jour de nombreuses réalisations telles que : l’agence Proxima BGFI BANK Congo, l’agence Exellium BGFI BANK Congo, le siège ECOBANK Congo, le siège Cofina Congo, l’agence venus BGFI BANK (RDC), le restaurant La pirogue à Brazzaville, l’hôtel Riverappart, sans oublier les villas, les appartements, les résidences et les immeubles, etc.…
Aujourd’hui, nous sommes une référence, un gage de savoir-faire et de qualité dans le secteur de l’architecture, l’aménagement d’intérieur et le design d’espace dans la sous-région grâce à des collaborations fortes telles que le Groupe Panafricain BGFIBANK. Il est important de souligner que nos métiers sont très peu connus et génèrent encore beaucoup d’interrogations dans notre environnement. Plus spécifiquement, la place de la décoration d’intérieur et la nécessité d’allier le design à notre environnement et nos réalités. Tel est notre corps de métier : allier la forme ainsi que le fond, en y intégrant nos mœurs, nos réalités, ainsi que notre brassage culturel par le biais du design.

Je suis passionné par la volonté d’apprendre et la curiosité d’explorer les aspects invisibles qui nous entourent. Les voyages et le mélange culturel sensoriel m’inspirent également. Je suis très réceptive aux sensations tactiles, olfactives et visuelles. J’aime l’idée que nous sommes encore au début de notre révolution industrielle, et que mon métier est une page blanche remplie d’opportunités à explorer, à réaliser et à imaginer, en mettant l’accent sur le bien-être, le savoir-vivre et l’harmonie avec notre réalité et notre environnement. Vivre au quotidien est pour moi une forme de troisième cerveau. Je suis convaincu qu’il est stimulant d’être en harmonie avec son esprit, son corps et son environnement.
Au-delà de cela, j’ai toujours eu le désir d’apporter ma contribution à ma nation en rentrant dans mon pays natal le Congo. En me disant que ce que j’ai accompli ailleurs, je peux le faire également chez moi. Peut-être pas forcément en mieux, mais en plus utile. J’aime l’idée que chaque jour, à ma manière, je contribue un peu à l’avenir de mon pays.
POURQUOI AVOIR CHOISI CE MÉTIER ?
YESSEI : En toute franchise, j’ai toujours été fascinée par tout ce qui est lié de près ou de loin à l’art, peu importe sa forme, sa taille ou son origine. Mon objectif était de me rapprocher au maximum du processus artistique, plutôt que de simplement trouver un métier. J’avais besoin de concilier mes rêves et ma réalité. J’ai étudié les arts appliqués et j’ai découvert par hasard l’architecture et le design. J’ai rapidement compris que les deux étaient complémentaires et indispensables. Nous évoluons tout simplement dans un environnement que nous avons créé. Quoi de plus beau que de penser et de créer le bien-être de soi-même ou celui des autres en le matérialisant par le biais de notre métier.
COMMENT TU TE POSITIONNES AU CONGO, SACHANT QUE LES FEMMES SONT RARES DANS CE DOMAINE ?
YESSEI : Il est vrai qu’au Congo Brazzaville, nous sommes très peu nombreuses à exercer cette profession, voire presque inexistante. J’entends fréquemment cette phrase disant : “Yessei, tu exerces un métier d’homme”. Cependant, cela n’est pas tout à fait exact. Tout d’abord, de nombreuses femmes exercent cette profession à travers le monde. La question du genre n’est pas remise en cause ici. Comme beaucoup de sujets d’actualité, je ne comprends pas cette obsession pour les genres, que ce soit dans les actions, les métiers ou même la nourriture. Chacun devrait avoir le droit de choisir librement sa manière d’être et d’exercer la profession de son choix, sans être contraint par une quelconque norme de genre établie. En ce qui concerne mon positionnement, j’aimerais que nos autorités soient plus ouvertes à l’idée de collaborer et de mettre en place des fonds d’accompagnement pour les cabinets souhaitant former et embaucher davantage de femmes dans ce domaine.
L’objectif n’est pas de prospérer en solitaire et de penser que je suis la meilleure, loin de là. Il ne sert à rien de briller en solitaire lorsque tant reste à accomplir. Allons de l’avant avec l’intelligence artificielle. Il est dans notre intérêt d’être plus nombreux afin de rester plus fortes. Les difficultés que tu rencontres. Je vais partager avec vous une petite anecdote qui a marqué mes premières années en tant que jeune femme architecte.
À chaque fois que j’arrivais à une réunion corporative, composée principalement d’hommes, cette question me tombait invariablement dessus : “Mais où est l’architecte ? Je répondais : “C’est moi, Monsieur, je suis présente. “Vous ne ressemblez vraiment pas à une architecte ». Voici le type de questions offensantes auxquelles je suis régulièrement confrontée. Sans compter les nombreuses remarques sexistes, souvent teintées de paternalisme condescendant. La liste est longue. Cependant, il y a du positif à tirer de ces expériences. Chaque épreuve, chaque difficulté, chaque contrainte m’a poussée à donner le meilleur de moi-même, à travailler plus dur, plus longtemps que les autres, sans jamais compter l’heure. Ces difficultés m’ont permis de me dépasser et à force d’acharnement et de travail, de gagner la reconnaissance de mes pairs, le respect de mes équipes et la gratitude de ma clientèle.
L’ASSOCIATION FEM DONT VOUS ÊTES LA FONDATRICE VIENT D’ORGANISER UNE LEVÉE DE FONDS POUR RÉHABILITER LA NÉONATALOGIE DE L’HÔPITAL MILITAIRE DE BRAZZAVILLE, POURQUOI AVOIR FAIT CE CHOIX ?
YESSEI : L’association FEM – Femme en Mouvement -, incarne les valeurs que je pratique au quotidien, telles que l’entraide, le partage, la bienveillance et la bienséance. Il est évident que notre système de santé n’est pas le plus performant, et malheureusement en 2023, chaque famille congolaise a vécu ou vit actuellement des traumatismes liés à nos hôpitaux. J’ai moi-même vécu cette expérience il y a quelque temps, lorsque mon fils a failli succomber à une insuffisance respiratoire. À cette époque, j’ignorais vers qui me tourner où aller, et j’avais également peur de me rendre dans un établissement de santé de peur du pire, je souhaitais juste voir un spécialiste. Cependant, cette situation a pris une tournure incroyable, car j’ai été témoin d’une volonté de faire le bien et de soutenir la néonatalogie de l’hôpital militaire de Brazzaville. J’ai choisi cet hôpital précisément parce que j’y ai pris conscience de l’importance de la responsabilité individuelle. Le temps est venu pour chacun d’apporter sa contribution. Il est temps pour chacun, à son niveau, de contribuer à la construction d’un meilleur système de santé. Il ne s’agit pas ici de se substituer les uns aux autres, mais simplement de s’entraider mutuellement.
Tout s’est déroulé à une vitesse fulgurante. Je suis d’une nature spontanée et j’apprécie généralement de saisir les opportunités au vol. Je ne renonce jamais lorsque j’ai une idée en tête. Au lendemain de l’hospitalisation de mon fils, j’ai immédiatement commencé à griffonner, me demandant comment je pourrais exprimer ma gratitude et trouver une idée dans un délai très court, puis concrétiser cette idée en action. Ainsi, d’un simple acte de remerciement, est née une initiative, une « rencontre des 100 ». J’ai aussitôt pris contact avec quelques membres actifs de l’association, et elles m’ont toutes répondu favorablement. Cette année, nous n’avions pas encore réalisé d’action, mais nous avons décidé d’en organiser une, même modeste, mais ayant un impact considérable. Nous avons donc établi une liste de tâches à accomplir, ainsi qu’une liste de besoins et un calendrier. Chacune avait un rôle à jouer, de manière coordonnée. En moins de 10 jours, nous avons accompli l’impensable. Je suis particulièrement fière de raconter cette expérience, et je dédie ce succès à toutes les femmes de FEM.
QUELS ONT ÉTÉ LES MOMENTS DIFFICILES ?
YESSEI : Le plus ardu a été curieusement de convaincre les personnes les plus proches de moi. Pour être sincère, je n’ai absolument pas prévu, ne serait-ce qu’une seconde, que ce que j’avais mis en place pourrait déranger ou offenser qui que ce soit. Au contraire, j’ai simplement songé : et si nous accomplissions une noble action, tous ensemble ? Malheureusement, cela n’a pas été perçu de la même manière par chacun, et bien évidemment, j’ai essuyé critiques, scepticisme et découragement. Ainsi, donc, il y eut des jours merveilleux tout autant que des jours extrêmement fâcheux. Heureusement, Dieu fait toujours ce qui est bon et n’oublie jamais ses enfants. De magnifiques témoignages ont émergé, attestant d’une solidarité impensable, d’une découverte profondément humaine et de liens authentiques tissés. Si vous me le permettez, cette partie est spécialement dédiée à Danielle, Sarah et Joade. Elles se sont révélées exemplaires et ont soutenu cette cause de manière inébranlable, ne doutant jamais, n’hésitant point et ne remettant pas en question cette action. Du fond du cœur, je vous remercie, mesdames.
AVEZ-VOUS L’INTENTION DE REFAIRE UNE TELLE ACTION ?
YESSEI : Naturellement, nous sommes toujours enthousiastes à l’idée de nous engager dans de nobles réalisations. Cependant, cette fois-ci, pour la prochaine opportunité, j’aimerais être aux côtés d’une autre dame dans le cadre de son initiative, une action qu’elle porte avec conviction et qu’elle aspire à accomplir de son mieux, avec la même dévotion que les femmes qui se sont investies dans ma propre entreprise.
QUELLES SONT VOS ACTIVITÉS À VENIR POUR CETTE ANNÉE ?
YESSEI : Cette année, notre attention est centrée sur la restructuration et la réorganisation de l’association. La création de nouvelles coalitions voire d’alliances. L’adage “l’union fait la force” prend tout son sens. Il est crucial de prendre conscience que notre objectif est non seulement de sensibiliser les esprits, mais aussi de mettre en lumière les dysfonctionnements de nos institutions. Nous devons grandir pour survivre et s’unir afin de devenir une voix unique. Une voix qui représente avec force les couleurs et les valeurs de la « FEM ».
VOTRE MOT DE LA FIN.
J’apprécie particulièrement cette citation qui affirme que : « Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ». Xavier Dolan.
À toutes les femmes qui liront cet article, n’arrêtez jamais de rêver, osez avec impunité, travailler pour votre souveraineté, et ne jamais laisser quoi que ce soit ou qui que ce soit entre vous et votre destinée.
Propos recueilli par Iris Tala



