
INTERVIEW EXCLUSIVE
Pourquoi avoir intitulé votre nouvelle collection « Tribal en ville » ?
Adriana Talansi : Parce que c’est inspiré de l’art et la culture du peuple kouyou, en particulier les marottes et les danses traditionnelles de ce peuple, notamment la danse kébé-kébé, les rituels, les broderies avec les cauris. Cela représente toute une richesse. À travers mes créations, je voulais ramener cette tribu en ville et rendre hommage à cette culture ainsi qu’à mes ancêtres, en rendant accessible aux nouvelles générations, leur héritage culturel. L’autre aspect de ce choix, c’est également pour répondre à un besoin, celui d’avoir des costumes traditionnels 100 % congolais. On pourrait éventuellement les porter lors des événements comme les mariages. Cela pallierait à cette perte de notre identité culturelle, qui se traduit aussi par la copie des costumes originaires des autres pays. Dans notre culture, le raphia est un grand symbole, porté par les rois, il représente le pouvoir.
Pourquoi le raphia ?
Adriana Talansi : J’ai utilisé le raphia car c’est une matière qui n’est pas encore copiée par les grandes multinationales du textile. Dans ma démarche, je voulais encourager le travail des artisans, en achetant un tissu travaillé à la main. En tant que créateurs africains, à petite échelle, nous faisons du slowly fashion. Acteurs dans la haute couture, certes, mais ça reste très artisanale et j’aime ce côté car on pollue moins la planète.
Quelles sont les particularités de Tribal en ville ?
Adriana Talansi : À part le fait qu’elle soit à 80% en raphia, la particularité de cette collection est qu’elle est éthique et écoresponsable. En effet, les textiles ont été choisis en fonction de l’environnement, le raphia c’est une matière 100 % naturel. Les tissus stretch et slick que j’ai utilisés ont été pris chez Ecotex, l’une des plus grandes enseignes certifiée et spécialisée dans le recyclage et la vente des tissus éco responsables en France. Depuis plus de 2 ans, je fais du recyclage de tissus, j’achète notamment des friperies que je les transforme complètement pour éviter le gaspillage. Ou encore, je réutilise certains tissus de mes collections passées, dans les nouvelles collections. À titre d’exemple, j’ai réutilisé les doublures ainsi que d’autres éléments de la collection 2018 « Our identity », pour confectionner la nouvelle collection « Tribal en ville ». C’est une façon pour moi de prendre soin de la planète et aussi d’interpeller les mentalités sur la préservation de la terre notre bien commun. Pour cette collection, les pièces sont d’ailleurs limitées, tout simplement parce que je ne peux pas refaire les mêmes motifs, la collection est exclusive.
Vous vous êtes installée en France, le show-room au Congo est toujours ouvert ?
Adriana Talansi : Effectivement, depuis une année et demie, je suis installée en France, et ça n’a pas été facile pour moi. Cette décision a été prise pour des raisons sanitaires. Et face aux opportunités que j’ai pu rencontrer en France, je me suis donnée l’objectif d’étendre mes activités dans toute l’Afrique. Notamment en commençant en Afrique de l’Ouest avec des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire, et terminer en Afrique du Sud. Le show-room est toujours ouvert à Pointe-Noire, l’atelier a été délocalisé au quartier la base avec un nouveau concept, toujours aussi riche en couleur.
Malgré le succès que connaissent des marques comme Talansi en Afrique, leurs produits ne sont toujours pas consommés comme il se devait, à quoi est dû cela à votre avis ?
Adirana Talansi: Je dirai que ce n’est pas particulièrement en Afrique, j’ai vu la marque Simone & Élise arriver après moi, et cartonner aujourd’hui. Tout comme Ibrahim Fernandez ou encore Yaya Nene qui est dans les accessoires. Les sacs de Yaya Néné coûtent à partir de 100.000 FCFA, et je vois beaucoup de congolaises les acheter. D’ailleurs même certains amis créateurs me disent souvent qu’elles ne comprennent pas pourquoi je n’arrivais pas à m’en sortir alors que le Congo représente la base de leur clientèle. Mais une chose est sûre, les créateurs qui réussissent sont généralement soutenus dans leur pays à l’instar des ivoiriens et des Sénégalais.
Quelle est la situation réelle sur le marché ?
Adriana Talansi: Nous travaillons à petite échelle, et nous payons cher l’impôt, tout comme les tissus et la douane. Tout cela ne nous permet pas d’avoir des prix compétitifs sur le marché. Certaines clientes me reprochent d’être chère par rapport à d’autres créateurs, mais les mêmes payent des billets pour aller faire du shopping dans d’autres pays. Si nous nous amusons à calculer, on verra qu’elles dépensent encore plus. Il n’y a pas assez de médias pour communiquer autour de ces sujets comme vous le faites, n’y a pas de blogueurs qui s’intéressent vraiment à vendre le pays et nos propres frères ne croient pas en nous. A titre d’exemple, dans mon entourage une futur mariée avait un budget très élevé pour sa robe, mais n’avait pas suffisamment confiance en mon talent pour me confier ce travail. Donc elle m’a confié juste les robes des demoiselles d’honneur. Pourtant j’ai des clientes qui me passent des commandes depuis les USA et me ramènent encore d’autres clientes. Souvent je me demande pourquoi continuer à investir dans mon pays, en temps et en énergie ? C’est sans doute, grâce au patriotisme.
Qu’est ce qui vous touche le plus ?
Adrian Talansi: J’ai représenté le Congo dans plusieurs compétions et événements dans la mode et j’ai remporté des prix. Les autres créateurs qui, comme moi, recevaient des distinctions en rentrant chez eux, étaient accueillis comme des rois et des reines. Ça n’a pas été le cas chez moi, je me demande même si mon pays connaît mon parcours. Je me sens comme un enfant qui travaille bien à l’école, mais dont on ne voit jamais les parents pendant les émulations. Cette absence peut faire que l’enfant ne soit pas traité à sa juste valeur, car personne n’est là pour le défendre et l’encourager. Je pouvais par exemple travailler avec Vlisco vu tout ce que j’ai déjà fait, mais il n’y a pas de boutiques officielles Vlisco au Congo. Cette enseigne préfère donc travailler avec le Togo ou le Bénin même si ce ne sont pas de grands créateurs à l’œuvre, parce qu’ils feront du chiffre.
Comment avez – vous vécu la pandémie à Covid-19 ?
Adriana Talansi : Au début de la pandémie, il y’ avait des deuils au sein de ma famille qui m’avaient vraiment déstabilisée. Courant 2019-2020 j’avais beaucoup accumulé. J’avais quand même gardé la tête haute, mon équipe et moi avions aidé les d’hôpitaux et les orphelins. Nous avons a travaillé en interne pour fournir des masques gratuits dans les marchés, les hôpitaux, la rue, on en a vendus aussi. Mais la perte des proches m’a beaucoup affectée.
L’un des moyens qui ont aidé les producteurs à exister et à vendre pendant ces périodes de distanciations c’est le numérique. Est-ce que ça a été le cas pour Talansi ?
Adriana Talansi: Le numérique c’est ma bête noire, je n’arrive pas à trouver un bon community manager qui va pouvoir travailler avec peu de moyens dans un début et se fixer des objectifs par rapport aux ventes. J’ai essayé avec une équipe qui a géré ma page pendant 6 mois mais la vision n’était pas la même. Sans oublier les problèmes de logistique et de transport pour la livraison dans les pays étrangers par exemple. C’est un problème qui concerne tous les entrepreneurs. Ma prière est que nous réussissons un jour.
Comment se présente 2022 chez Talansi ?
Adriana Talansi:En 2022, il y aura pas mal d’expositions. Depuis 2019, je collabore avec un Vannier qui m’avait exprimé les difficultés à recruter des jeunes dans le métier de vannerie. On s’était alors proposé de créer des articles. Ils vont être exposés pendant 3 jours au Musée privé Cercle Africain, mais également dans mon show-room. Espérant que cela soit à l’image et aux attentes de ma clientèle, parce que j’y ai mis du cœur. Voilà en gros mes projets pour le moment. Je n’accepte plus toutes les propositions de collaboration, parce que je veux passer plus de temps avec ma famille, car elle représente tout ce que j’ai. Néanmoins, j’ai accepté deux collaborations, notamment au Kenya et aux États-Unis.
Votre conclusion…
Adriana Talansi: Un grand merci à MATA de m’avoir interviewée, continuez à faire votre travail comme vous le faites avec passion. C’est une grâce d’avoir ces quelques personnes qui nous soutiennent et qui essayent de mettre notre travail en lumière.
Publié le 14Mars 2022 / MATA Magazine



