Il est 15 heures, lorsque nous arrivons à la cité de la recherche scientifique de Brazzaville, nous nous orientons alors vers le Centre de recherche Christophe Mérieux pour les maladies infectieuses, que dirige le Professeure Francine Ntoumi. Arrivés dans ses bureaux, nous la trouvons en pleine réunion.
Quand ses collaborateurs nous annoncent, elle interrompt sa réunion pour nous recevoir. Cette marque d’attention nous touche, car généralement, les personnalités de son acabit vous font attendre des heures avant de vous recevoir. Notre séance de travail sera donc courte et efficace. Nous sortons de là avec une belle leçon de modestie et d’humilité, de la part de celle qui vient d’être élue présidente du conseil scientifique de l’institut de recherche pour le développement en France.
Epidémiologiste moléculaire, présidente de la fondation congolaise pour la recherche médicale, Francine NTOUMI est également enseignante – chercheuse à la faculté des sciences et techniques de l’université Marien-Ngouabi de Brazzaville en République du Congo, professeure – associée à l’institut de médecine tropicale de l’université de Tubingen en Allemagne. Première femme africaine responsable du secrétariat de l’initiative multilatérale sur le paludisme, Francine Ntoumi est très engagée dans le renforcement des capacités de recherche en santé sur le continent africain et attachée à la défense de la place des femmes dans la recherche. Cet engagement l’a conduite à coordonner le réseau régional d’Afrique centrale sur la recherche clinique (CANTAM). Elle est membre de nombreux comités scientifiques internationaux dont le global Health Scientifique interdisciplinaire et partenariat COVID-19 de l’IRD.
INTERVIEW EXCLUSIVE
Quelle est la contribution des femmes scientifiques d’Afrique et du Congo en particulier dans la lutte contre la COVID -19 ?
Francine Ntoumi: les femmes scientifiques d’Afrique, de toutes les disciplines confondues, ont participé activement à la lutte contre la pandémie en conduisant des activités de recherches. Par exemple, Sophie Uyoga du Kenya a publié ses résultats dans la prestigieuse revue scientifique Science. Au Gabon, la responsable de la riposte est une femme, le Professeur Marielle Bouyou. La Fondation Congolaise pour la Recherche Médicale (FCRM) que je dirige apporte sa contribution en étant active dans beaucoup de comités de réflexion à l’échelle mondiale, continentale et nationale. La FCRM au niveau de la recherche évalue l’immunité de la population congolaise, évalue des outils de diagnostic et participe activement au dépistage des cas positifs dans le pays. Plusieurs articles qui font référence et toutes les données de recherche (séroprévalence et description des variants grâce à la mise en place de la seule unité de séquençage fonctionnelle dans le pays) ont été produits par notre groupe de recherche. Nous avons alerté lors de la première détection locale des variants alpha, Delta, Congolais et Omicron.
Vous avez été élue présidente du Conseil de l’Institut de Recherche pour le Développement en France (l’IRD), qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Francine Ntoumi: cette élection est une grande fierté pour moi. C’est aussi une grande fierté pour la femme africaine que je suis. Parce que beaucoup de scientifiques africains francophones ont bénéficié à un moment donné de l’expertise, des savoirs de l’ORSTOM puis l’IRD. Être à la tête de son conseil scientifique est vraiment une étape plus qu’importante dans mon parcours personnel et dans mon engagement pour le développement par la recherche. C’est comme un «plafond de verre» qui saute.
C’est très réjouissant.
En quoi consiste votre mission ?
Francine Ntoumi: le conseil scientifique donne son avis sur les grandes orientations de la politique scientifique de l’Institut, les activités de valorisation, d’information et de formation ainsi que sur les principes communs d’évaluation des unités et des personnels de recherche. Il est consulté sur la création, la modification ou la suppression des départements scientifiques, des unités de recherche et des unités de service de l’institut ainsi que sur la nomination de leur directeur. Mon rôle consiste à présider les discussions, guider et trancher dans les débats et échanger autant que possible avec la gouvernance de l’IRD. Mon travail va donc consister à faire le maximum pour arrimer solidement en matière de la Formation, de la Recherche et du développement la rame des pays du Sud avec l’excellence de la recherche et de l’innovation française.
Pourquoi le Développement humain des femmes est si important pour vous ?
Francine Ntoumi: je pense qu’il n’est pas raisonnable de considérer que les potentiels de créativité des femmes qui représentent un peu plus de la moitié des populations du monde doivent être de quelque façon que ce soit marginalisé ou mis en jachère. Les femmes africaines ont un rôle majeur dans le développement de l’Afrique. Notre Continent va connaître dans les décennies qui viennent le défi de l’adéquation entre sa croissance démographique et sa croissance économique. J’ai une conscience aiguë de ce défi, car il ne faudrait pas que nos progrès en matière de mise en place d’infrastructures de formation, de recherche et d’emplois soient mangés par un développement incontrôlé ou incontrôlable de croissance démographie. Ce serait une grave erreur de ne pas penser à cela dès maintenant. Les femmes ont un rôle majeur à jouer en cette matière. Ce sont elles qui font les enfants et les éduquent. L’amélioration des conditions leurs propres accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi ne pourra n’avoir que des bénéfices incalculables.
Qu’est-ce qu’il faut craindre le plus en Afrique : le palus ou la COVID-19 ?
Francine Ntoumi: bien évidemment le paludisme, car c’est une très ancienne maladie qui ne cesse de bloquer le développement des pays endémiques. Il faut craindre que les efforts engagés ces 20 dernières années ne soient pas réduits ou perdus à cause de la COVID-19.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Francine Ntoumi: la mise en place de la fondation congolaise pour la recherche Médicale (FCRM) qui est aujourd’hui une institution de recherche reconnue à l’international et qui fait un travail de qualité publié dans les meilleurs journaux scientifiques. Être une femme et avoir réussi ce défi est énorme.
Qu’est-ce que vous regrettez le plus ?
Francine Ntoumi: Que la recherche ne soit pas considérée comme il se doit dans mon pays.
Vos aspirations…
Francine Ntoumi: plus de jeunes gens (hommes et femmes) s’engagent dans les diverses disciplines.



